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L’Adresse Lyrique

2008, Po&sie

https://doi.org/10.3917/POESI.126.0130

Abstract

traduit de l'anglais (américain) par Tiphaine Samoyault Ce qui frappe, lorsqu'on parcourt le champ actuel de la théorie littéraire, c'est le caractère marginal de la pensée de la poésie et du lyrisme. C'est particulièrement surprenant parce que pour la théorie moderne à ses débuts -pour le formalisme russe, le structuralisme de Prague et Roman Jakobson, le passeur du structuralisme français, qui a introduit Claude Lévi-Strauss à la linguistique et à la révolution phonologique, la poésie et en particulier la poésie lyrique, occupait une position centrale. Pour le tournant linguistique (linguistic turn) qui a donné naissance au structuralisme, le lyrisme était du langage au sens le plus linguistique du terme, le lieu où ses structures et son fonctionnement était le plus visible. Parmi les six fonctions élémentaires du langage définies par Jakobson, il y avait la fonction poétique qui impliquait, selon cette formule aride que tous les étudiants en théorie littéraire ont appris un jour par coeur, « la projection du principe d'équivalence de l'axe de la sélection sur l'axe de la combinaison. 1 » La poésie fut un jour au centre de l'expérience littéraire et l'appréciation de la nature du lyrisme -ou du langage poétique -fut un jour au centre de la théorie. Ce n'est plus le cas ; si la littérature reste importante pour la théorie, c'est sous l'habit du récit. Pourquoi ? La réponse la plus évidente serait qu'il n'y a plus assez de gens qui lisent de la poésie, mais un fait aussi concret n'a jamais arrêté la théorie jusque là. Qui lit Lacan à l'exception des théoriciens ? Une réponse simple pourrait être qu'à une époque de démystification théorique, la poésie dérange. Les théoriciens peuvent bien affirmer l'importance fondamentale du récit de fiction pour la construction du sujet, pour le désir et l'identité, pour les communautés inventées que sont les nations, etc. Il est plus difficile de produire de telles affirmations à partir de la poésie. L'exhibition de ses procédés rhétoriques et le caractère détourné de l'adresse troublent les théoriciens purs et durs. Dans sa définition du langage performatif, J.L. Austin a cette phrase célèbre : « Je ne dois pas plaisanter, par exemple, ni écrire un poème. 2 » Ou encore : « si le poète dit "va, attrape une étoile filante !" ou tout autre chose, il ne donne pas véritablement un ordre. 3 » Tout effort pour remettre une théorie de la poésie lyrique en bonne place dans la théorie de la littérature devrait insister sur le problème de l'adresse poétique, y compris dans ses formes les plus spécifiques. Les théories du lyrisme ont souvent considéré le lyrisme comme un discours entendu à l'insu de celui qui parle. John Stuart Mill, dans son essai fameux intitulé Thoughts on Poetry and its Varieties [Pensées sur la diversité poétique] écrit : « La particularité de la poésie nous paraît résider dans le fait que le poète est dans l'ignorance la plus totale 130

References (10)

  1. John Stuart Mill, Thoughts on Poetry an dits Varieties, in Collected Works, Toronto, University of Toronto Press, 1963, vol. 1, p. 348.
  2. Thomas Stearns Eliot, The Three Voices of Poetry, London, Cambridge University Press, 1953, p. 4.
  3. Northrop Frye, Anatomie de la critique, Paris, Gallimard, 1969, p. 303.
  4. Charles Baudelaire, OEuvres complètes, Paris, Gallimard, « Pléiade », 1976, vol. II, p. 164.
  5. Voir Jonathan Culler, « Apostrophe », Diacritics, hiver 1977 ; repris dans The Pursuit of Signs, London, Routledge, 1981.
  6. Meyer Howard Abrams, Style and Structure in the Greater Romantic Lyric, in Romanticism and Consciousness, Harold Bloom éd., New York, Norton, 1970. Belin | Telecharge le 08/10/2025 sur https://shs.cairn.info (IP: 44.209.135.156)
  7. Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, lxxix, Gallimard, 1972, p. 107.
  8. Paul de Man, Anthropomorphism and Trope in the Lyric, in The Rhétoric of Romanticism, New York, Columbia University Press, 1984, p. 261. Belin | Telecharge le 08/10/2025 sur https://shs.cairn.info (IP: 44.209.135.156)
  9. Horace, Odes, Épodes, Chant séculaire, trad. du latin par Jean Mayer, Paris, Minos, La Différence, 2006, p. 43.
  10. David West, Horace Odes I, Carpe Diem, Oxford, Oxford University Press, 1995, p. 40. Belin | Telecharge le 08/10/2025 sur https://shs.cairn.info (IP: 44.209.135.156)